De merveilleuses quêtes animalières, dont la Loutre, par Bastien Masson

Bastien nous transporte dans son quotidien Auvergnat où la faune sauvage est source d’inspiration. Retranscrire toute leur beauté en photo est devenue une évidence, passant par d’incroyables quêtes aux conditions parfois difficiles. Une nécessité en soi, pour capturer des scènes de vie incroyables et rares à l’observation.

Captivée par son interview, riche d’enseignements, c’est avec des yeux d’enfants que je me suis imaginée ses rêves accomplis et de nombreux encore à réaliser. Subjuguée par la puissance des émotions vécues lors sa plus belle rencontre animalière, au réveillon du nouvel an, que je vous laisse lire.

Bonne lecture ! 🥰 N’oubliez pas de lui laisser un petit mot en commentaire et à suivre son travail (lien en bas de l’article).

Bastien Masson, photographe animalier


Je m’appelle Bastien Masson, j’ai 35 ans, j’habite en Auvergne et je suis photographe animalier et concepteur-rédacteur. J’ai grandi de la plaine de la Crau aux montagnes de Haute-Savoie en passant par le parc du Mercantour. Fils d’anciens bergers, j’ai grandi avec mes deux frères au beau milieu de grands espaces et en contact permanent avec la faune sauvage. En août 2020, j’ai pris la décision de stopper mon activité professionnelle pour ne plus me consacrer qu’à la photo et à l’écriture. Je vis désormais dans un hameau d’une dizaine d’habitants avec ma compagne et mes deux enfants.

Quelle est la signification de ton pseudo Photovolcanique ?

Mes images sont prises pour l’essentiel dans le Parc Naturel des volcans d’Auvergne. Aimant jouer avec les mots et étant d’un tempérament assez impulsif, le pseudo “photovolcanique” s’est très vite imposé comme une évidence, relatant mon caractère et le territoire dans lequel j’exerce.

Pourquoi la photographie animalière ?

J’ai montré un grand intérêt pour la faune sauvage dès la petite enfance. Le fait de suivre mes parents lors des transhumances ou de la garde du troupeau m’a permis d’acquérir mes premières connaissances naturalistes.  J’ai longtemps pensé à pratiquer la photo pour ramener des souvenirs, des témoignages de mes rencontres en pleine Nature, mais l’aspect technique m’effrayait un peu. Il y a trois ans, j’ai franchi le pas en faisant l’acquisition de matériel dédié à la photo animalière et je n’avais alors plus que deux choix : m’y mettre, ou revendre le tout sur le bon coin. Dès mes premières sorties ça a été une véritable révélation. Je pouvais enfin mettre à profit mes connaissances acquises sur le terrain, les approfondir et affiner ma technique pour obtenir des clichés qui relataient l’intensité de mes observations.

Je n’ai pas la prétention de vouloir faire passer un message à travers mes images, si ce n’est peut-être de celui de montrer aux personnes de ma région que nous avons une biodiversité d’une grande richesse et que ça vaut tous les écrans du monde. Pour avoir vécu toute ma vie en milieu rural, j’ai constaté le manque d’intérêt et de connaissances pour le monde sauvage par les locaux.

Ca peut paraître un peu égoïste, mais mon objectif premier en continuant à faire de la photo jour après jour est de me faire plaisir.

Tu as dernièrement publié de magnifiques photos de Loutres. Peux-tu nous raconter cette très belle quête et nous dire pourquoi la Loutre en particulier ?

Quand j’ai commencé la photo, je ne connaissais absolument rien de l’espèce, celle-ci étant très peu présente dans mon ancien département de résidence. Mes lectures naturalistes sur la faune d’Auvergne m’ont appris que l’espèce était très présente dans la région et ça a suffit pour faire naître une passion qui ne m’a jamais quittée.

Je ne me l’explique pas vraiment, c’est un peu comme si c’était la quête qui m’avait choisie et non l’inverse. Le caractère discret et rare de l’observation a sans doute joué à éveiller en moi une forme de fascination. La Loutre a cette particularité de plaire, d’intriguer…de par son capital sympathie mais aussi de par son esthétisme. Il faut croire que le charme a opéré sur moi plus que sur quiconque!

Ca a été ma première quête. Deux semaines après avoir reçu mon matériel, j’avais mes premières images de Loutres au piège photo et, avec l’insouciance du débutant, je me suis mis en tête de la photographier de jour et hors de l’eau, ce qui représentait un challenge assez fou.

Il m’aura fallu deux ans pour y parvenir, période pendant laquelle j’ai pu côtoyer un grand nombre d’autres espèces et ainsi mener une quête “en pointillés”, en essayant de ne pas tomber dans l’obsession, ce qui peut parfois conduire à commettre certaines erreurs.

Que t’apporte cette merveilleuse passion ?

Comme je le disais, je suis d’un tempérament plutôt impulsif, voire sanguin. Ces traits de caractère ne sont pas franchement compatibles avec la photo de Nature qui demande calme, patience et persévérance. La découverte de la discipline de l’affût a un peu été une révélation pour moi. Quand tu te retrouves à devoir rester immobile pendant plusieurs heures au même endroit, l’hyperactivité n’a pas sa place. La photo m’a permis cet apaisement.

L’autre aspect que je recherche le plus est indéniablement le calme, le silence, la soustraction au brouhaha humain. L’économie des gestes et des paroles ramène à l’essentiel, loin des fioritures et des conversations stériles.

Pour donner un exemple, je ne pourrais passer un bon moment lors d’une soirée en société que si je sais qu’elle sera compensée par une séance d’affût le lendemain. C’est une soupape. Sans ça, j’implose.

As-tu une idée du temps passé sur le terrain ou en affût ?

J’essaie de consacrer tout mon temps libre au terrain. Comme j’ai la possibilité de travailler depuis chez moi et que la forêt est à deux pas, je peux assez facilement organiser des sorties. Comme je suis père de famille et que nos enfants sont instruits à la maison, je peux concilier mon job de papa et ma passion en la leur transmettant. Les enfants m’accompagnent régulièrement lors de mes prospections et sur certains de mes affûts. En moyenne, je dirais que je consacre au minimum deux heures par jour au terrain. Il arrive cependant que je parte sur plusieurs jours et dorme sur place en fonction des espèces et de la météo.

Quelles sont les difficultés que l’on peut rencontrer ?

L’essentiel des difficultés rencontrées dans ma pratique peut être résumé par l’anagramme inventé par Hubert Reeves : le P.F.H. (putain de facteur humain).

Mes plus gros loupés ou mes plus grandes frustrations ont été causés par l’homme. Chasseurs, promeneurs irrespectueux, comportements néfastes envers les animaux (pendant le brame du cerf notamment).

Pour le reste, la météo, l’inconfort, l’attente, l’échec, le renoncement…tout ceci n’est que plaisir.

Que penses-tu de l’éthique en photographie animalière et quelle est ton éthique, ton exigence lors de tes sorties photos ?

C’est devenu LE sujet en photo animalière.

Je ne sais plus trop qu’en penser…

L’avènement des réseaux sociaux et l’effet de mode dont bénéficie (ou souffre?) ce domaine de la photo ont contribués à voir se développer des pratiques pour le moins douteuses, dans le seul but d’atteindre une notoriété virtuelle.

Il est évident que certaines méthodes sont abjectes et doivent être dénoncées (appâtage, affûts payants, photo en enclos de chasse, congélation des animaux, mises en scène…). Mais avant de dénoncer de telles pratiques, je pense qu’il est bon d’interroger les nôtres.

Changer de matériel à chaque sortie du nouveau boîtier d’un grand constructeur contribue au pillage des terres rares.

Faire trois heures de bagnole, ou traverser la moitié du globe pour se rendre sur un spot n’a rien de très éthique, quand bien même le message derrière se voudrait empreint de sensibilité environnementale.

Faire encadrer ses images sur un support contenant de l’aluminium et des dérivés de produits pétroliers devrait interroger quiconque se prétend oeuvrer pour la préservation de la Nature.

Il y a des choses très moches ailleurs, mais je pense qu’avant de s’en offusquer, il faudrait commencer par balayer le pas de notre porte.

Le sujet du dérangement revient souvent aussi. C’est à qui dérangera le moins. Même si on pourrait se féliciter d’une telle prise de conscience, j’ai tendance à penser que, comme pour les avalanches, le risque zéro n’existe pas. Ce n’est qu’en acceptant ce fait établi, et non en faisant la course à qui saura se rendre invisible, que l’on pourra se rendre dans la Nature en connaissance de cause et en toute humilité. Le seul moyen de ne provoquer absolument aucun dérangement est, selon moi, de ne pas pratiquer la photo animalière.

Quelle est ton approche lors d’une sortie photo ?

Généralement, je commence à réfléchir à mes sorties plusieurs jours à l’avance. Si nécessaire, je révise un peu les lieux sur des cartes ou avec des vues satellites. J’essaie de me focaliser sur un poste d’affût et sur une espèce pour ne pas m’éparpiller et ne pas perdre de temps sur place (bien que les rencontres impromptues soient toujours possibles). Je fais en sorte que les affaires soient prêtes et que je n’ai plus que ma ghillie à enfiler et mon filet à suspendre. Tout cela n’est possible que par une reconnaissance minutieuse en amont afin d’arriver sur place le plus discrètement possible et par la disposition préalable des éléments qui constitueront l’affût (branches, feuillage…).

Peux-tu nous raconter ta plus belle rencontre animalière ?

Mon meilleur moment passé dans la Nature restera sans nul doute l’affût qui a abouti aux premières photos dignes de ce nom de la Loutre.

Ce n’était pas la première rencontre mais les précédentes n’étaient que des répétitions en vue d’une mini expédition initialement supposée durer trois jours.

Je m’étais mis en tête de passer le réveillon du jour de l’an sur les berges d’un lac de moyenne montagne.

La veille du départ, le collègue qui devait m’accompagner s’est désisté et le passage de la tempête Bella a provoqué d’importantes chutes de neige. J’ai du m’équiper en urgence avec du matériel de fortune pour me camoufler en blanc.

Me voilà donc parti avec une combinaison de peintre en papier achetée dans un magasin de bricolage et un drap de soie blanc en guise de filet.

En arrivant sur place, l’enneigement est tellement important (80cm) que je prends la décision de monter le campement avant de me mettre en affût tant que le froid ne m’a pas encore gagné.

1h30 de pelletage et de marche d’approche plus tard, le lac est en vue et, surprise, la Loutre est déjà entrain de courir sur sa surface gelée.

Débute alors une partie de “1, 2, 3, soleil”, durant laquelle je profite qu’elle se glisse dans un trou d’eau en quête de nourriture pour approcher mon poste avant qu’elle ne refasse surface.

Je parviens tant bien que mal à m’installer et à disposer mes vivres pour la journée.

Le thermomètre annonce -12°c, je suis assis dans la neige jusqu’à la taille et son poste de chasse, l’unique trou où l’eau n’a pas gelée, se situe à 20m de moi, pile dans ma ligne de mire.

S’en suivra ma plus longue observation de cette espèce à ce jour, près de 8h à la regarder et la photographier, avec en prime une observation assez rare d’une tentative de prédation par un renard.

Je regagnerai ma tente aux alentours de 18h et finirai par m’endormir à 19h, totalement épuisé par le froid et l’émotion.

Le mercure descendra jusqu’à -17°c, je perdrai la sensibilité d’un orteil pendant plusieurs semaines, mais je réaliserai ce jour là ma meilleure image de la “petite panthère des eaux”…jusqu’à la prochaine.

Quelles sont les espèces que tu rêverais de photographier et pourquoi ? Quel est ton plus grand rêve en tant que photographe ?

La Loutre reste encore mon plus grand rêve que j’ai la chance de pouvoir continuer à vivre ! Je suis également fasciné par le mimétisme de certains oiseaux et j’avoue que la bécasse des bois ou l’engoulevent me font pas mal rêver.

A l’avenir, j’aimerais pouvoir documenter certains comportements de la Loutre, comme des scènes de prédation sur des oiseaux ou l’observation de loutrons.

Quels sont les photographes qui t’inspirent et pourquoi ?

Les personnes qui m’inspirent et m’influencent le plus ne sont pas nécessairement photographes. Ce peut être des artistes d’autres domaines (peinture, littérature…) ou encore des proches, comme mes enfants.

La Nature est à elle seule une source intarissable d’inspiration évidemment.

Cela dit j’apprécie les travaux de nombre d’entre eux, amateurs comme professionnels.

Joël Brunet pour sa constance à sortir des clichés dingues et son travail sur les lumières, les ambiances et les animaux dans leurs environnements.

Romain Monlong pour son approche naturaliste.

Nicolas Dupieux pour m’avoir fait voir autrement le monde de la proxiphotographie, notamment de fleurs.

Jérémie Villet pour son travail sur le blanc, son flegme et sa maîtrise de l’affût.

Bastien Riu pour son immense créativité.

Et tant d’autres encore!

Que penses-tu du post-traitement en photo ?

J’éprouve une très grande satisfaction à obtenir un rendu aussi proche de ce que je souhaite dès la prise de vue.

Le post traitement est une étape obligatoire pour quiconque réalise ses images en RAW et aspire à les diffuser et les faire imprimer. Il s’avère également souvent nécessaire pour corriger la colorimétrie, les ombres, ou encore le traitement du bruit numérique.

Cela dit je distingue le post traitement de la “retouche”.

Je ne supprime ni n’ajoute aucun élément et je veille scrupuleusement à ne pas dénaturer la scène que j’avais sous les yeux.

Les retouches à outrance comme on peut le voir régulièrement sur les réseaux ne me correspondent pas et relèvent selon moi plus d’une activité de “photoshoper” que de photographe, bien que cela reste un travail artistique que je ne dénigre pas.

Quelle est la photo dont tu es le plus fier? 

La prochaine! Je serais incapable de choisir parmi une de mes images et c’est l’idée de m’améliorer à chaque sortie et de me laisser surprendre par ce que la Nature a à offrir qui me poussent à retourner sur le terrain jour après jour.

As-tu d’autres domaines qui t’intéressent en photos et/ou d’autres passions ?

Je pratique uniquement la photo de Nature. J’ai eu beau essayer d’autres domaines comme le paysage ou la photographie sociale, ça ne me captive jamais autant que lorsqu’il y a un élément sauvage dans le cadre. Je n’ai pas autant de patience pour un animal que pour un humain.

J’aime beaucoup écrire aussi et je m’amuse souvent à joindre des récits à mes images.

Quels conseils donnerais-tu aux photographes animaliers ?

Avec seulement trois ans de photo derrière moi, je me considère encore comme débutant et donc absolument pas légitime pour donner de quelconques conseils.

Mais je constate une certaine “course à l’armement” en ce qui concerne le matériel et je suis surpris de voir des novices se ruer sur des boitiers hors de prix ou des très grandes focales, là où un 300mm peut amplement suffire pour se faire la main (c’est d’ailleurs la focale avec laquelle je réalise toutes mes images).

Quels sont tes projets, ton actualité, tes prochains challenges photo ?

L’année s’annonce riche en projets, aussi bien sur le terrain que dans des expos/festivals/publications. On organise une exposition avec Bastien Prevost qui est un autre super photographe avec qui on a pas mal de points communs dans notre approche de la photo.

 Il y a aussi le festival “picture for nature” au printemps prochain auquel j’ai hâte de participer pour rencontrer plein de super photographes. 

Je devrais aussi contribuer à plusieurs livres/articles sur la Nature et la photographie d’ici quelques temps mais je ne peux pas en dire plus pour l’heure.

 Côté terrain, j’ai récemment pu observer un chat forestier pas très loin de là où j’habite, probablement un vieux mâle avec une gueule toute cabossée et j’aimerais assez lui tirer le portrait. 

Je suis aussi tombé sur un crottier de genette il y a peu et j’attends le printemps pour m’y mettre.

Et bien sûr, continuer les suivis mis en place en début d’année, notamment sur la Loutre et le Grand duc.

Un petit mot pour la fin de l’interview ?

Pour finir, merci à toi Léa de m’avoir donné la parole! Si les lecteurs le souhaitent, ils peuvent découvrir une partie de mon travail sur mon compte Instagram ici :

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(5 commentaires)

  1. Merci beaucoup pour cette interview.
    Merci Bastien pour tes photos et tes textes que je lis sur instagram. Grâce à toi, j’ai pu voir la loutre sur tes photos.
    Merci Léa. Ton blog est génial.
    J’espère vous rencontrer au festival picture for nature de Samuel en juin 2022.
    Vous êtes tous formidables.

  2. Encore une belle interview Léa.
    J’aime beaucoup l’éthique de Bastien que j’essaye de faire mienne.
    La valeur n’attend pas le nombre des années de photographie. Son enfance au mileu de la nature lui a tout appris après ce n’est juste qu’un peu de technique.
    Bravo pour ton travail.

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