Reconnexion au sauvage loin de l’hégémonie humaine, par Valentin Marcheguay

A la lecture de l’interview de Valentin, les mots me manquent pour vous décrire à quel point elle m’a au plus haut point touchée. Au fil de ses mots et de ses ressentis, vous comprendrez. Je me retire doucement de cette introduction pour vous souhaiter une belle, enrichissante lecture et immersion dans son univers. 💚

 N’oubliez pas de lui laisser un petit mot en commentaire et à suivre son travail (lien en bas de l’article). Les photos sont protégées par son droit d’auteur.

Valentin Marcheguay,

photographe animalier


Je m’appelle Valentin, j’ai 28 ans et je viens d’un petit village du nord de la Gironde situé aux portes de la Charente-Maritime, où j’ai grandi au sein d’un hameau de trois maisons entouré de forêts et de vignes, à deux pas des marais de l’Estuaire girondin. 

C’est donc dans la nature et proche d’une faune diversifiée que j’ai passé mes dix-huit premières années. Cependant, il aura fallu que je m’en éloigne pour m’y intéresser davantage et plus encore, m’y consacrer. Après de longues années passées à étudier la médecine à Bordeaux, puis en Auvergne dans le cadre de mon internat, j’ai ressenti le besoin de souffler dans un monde où tout allait trop vite pour moi. Ce besoin de retour à l’essentiel s’est imposé sur le reste et c’est petit à petit, avec du temps devant moi et riche d’une petite expérience photographique acquise de-ci de-là, que la photographie animalière est apparue comme une passion, jusqu’à devenir peu à peu un réel mode de vie. 

A partir de là, j’ai passé énormément pour ne pas dire tout mon temps dehors, sur le terrain. J’avais presque tout à découvrir, à redécouvrir, et il était évident pour moi de le faire au plus proche de chez moi. Parce que je voulais simplement me reconnecter à ce qui m’entourait, revenir à un rythme de vie plus simple et plus proche du monde sauvage, loin de l’hégémonie humaine. Depuis, la photographie m’accompagne simplement dans ce cheminement, en m’aidant à canaliser mes émotions. 

Depuis quelques années maintenant, je sillonne les nombreuses forêts, vignes et autres marais qui m’ont vu grandir. Je suis très attaché au fait de suivre certaines espèces et individus dans le temps. Sans aller à établir une relation avec eux, j’aime à penser que je suis proche de cette faune sauvage, qu’une bulle se constitue autour d’eux et moi. 

Dans ce sens, j’aimerais – sûrement naïvement – que ce monde majoritairement hors-sol prenne, ou plutôt reprenne conscience du caractère bouleversant d’une nature qu’on a maintenant trop tendance à opposer à nos modes de vie, alors qu’on en fait partie intégrante. 

Que t’apporte cette merveilleuse passion ?

Elle me permet avant tout d’être mon propre sensibilisateur à la nature, en enrichissant sans cesse mes connaissances sur la faune qui nous entoure, sortie après sortie. Une véritable école. La sensibilisation des autres via le partage de mes images vient par la suite. C’est davantage une conséquence positive de cette activité qu’un réel leitmotiv. Je fais de la photographie avant tout pour moi, comme un cheminement très personnel que chacun – via la photographie ou non – pourrait avoir. C’est mon moyen d’expression. Bien-sûr, si mes images font sens pour les autres et les émerveille par procuration, c’est que du bonus, et j’en suis évidemment le plus heureux.  

Aussi, et c’est le plus important, elle est une grande source d’évasion, de contemplation, de plaisir.

Parle nous de ta passion pour les hiboux et les chouettes !

Ah… 

Et bien c’est venu tout naturellement, de façon complètement insoupçonnée. 

Au départ, j’observais de temps en temps un couple de chevêches d’Athéna dans un hameau voisin du mien. C’est le premier strigidé que j’ai eu l’occasion d’observer et ça a de suite été des moments complètement à part pour moi. Je crois que ça vient de leur regard, si expressif, et de toutes les représentations qui tournent autour des rapaces nocturnes en général. J’étais déjà fasciné. 

Puis un soir de printemps, en rentrant à vélo d’un affût consacré à ce couple, j’ai été interpellé par des cris éraillés et plaintifs provenant d’un bosquet de pins. Je ne savais absolument pas de quoi il s’agissait, mais je pressentais que c’était quelque chose de très spécial. En rentrant chez moi et après quelques recherches, j’ai vite déterminé qu’il s’agissait de cris de jeunes hiboux moyen-ducs. Le lendemain matin, surexcité, je retournais aux abords du bosquet. J’ai passé la matinée à scruter chaque pin un à un, en vain. Jusqu’à ce que je décide de partir. Et en me retournant une dernière fois, j’aperçus au-dessus de moi deux masses duveteuses grises me fixer avec quatre yeux oranges et noirs. Puis une troisième et une quatrième à quelques mètres dans un pin adjacent. C’était eux. Ce jour-là, je suis simplement redevenu un enfant, empli de joie et d’émerveillement. 

Puis tout s’est enchaîné. J’ai suivi cette nichée jusqu’à la fin de l’été ainsi que trois autres trouvées dans les environs. Je me suis peu à peu rendu compte que la zone où j’habitais était un véritable foyer de concentration de chouettes chevêches, sans parler des nombreux couples de chouettes hulottes dans les forêts autour de chez moi, avec même l’un d’entre eux que je peux observer tous les jours dans un chêne de mon jardin. Puis il y a eu cette rencontre marquante avec une population de hiboux des marais qui viennent hiverner tout proche de chez moi, et qui a donné lieu à un nouveau suivi, peut-être le plus beau réalisé jusqu’à présent. Et il y a bien-sûr l’énigmatique chouette effraie que j’apprends peu à peu à connaître.

Je les trouve simplement fascinants, charismatiques au plus haut point, magnifiquement discrets. Ce ne sont pas des oiseaux rares mais ils sont invisibles pour les gens, presque considérés comme des mythes. Cette notion me plait beaucoup. Le fait qu’ils soient nocturnes et donc méconnus suscitent en moi beaucoup de curiosité, ce qui explique peut-être qu’ils m’attirent davantage que d’autres espèces plus facilement observables (même si, qu’on se le dise, la faune sauvage en général a malheureusement des moeurs de plus en plus nocturnes…).

Ce que j’aime par-dessus tout est leur vol. Un vol complètement silencieux, empli de maîtrise, donnant l’impression d’observer des oiseaux qui n’existent pas vraiment, des mythes intouchables. 

Finalement, ils m’apportent beaucoup de joie en les observant. Tout est dans le ressenti, c’est difficilement explicable.

As-tu une idée du temps passé sur le terrain ou en affût ?

Un temps conséquent. Tous les soirs ou presque. Un bon nombre de matinées également, quand j’ai le courage de me lever aux aurores. Et puis dès que je le peux, en fait. J’aime aussi sortir en journée pour me promener, observer, faire du repérage, sans appareil photo. Je consacre les débuts et fins de journée aux affûts. Les suivis d’espèces prennent beaucoup de temps, mais c’est pour moi le meilleur moyen de créer des images qui me plaisent, qui me sont propres, et qui sont respectueuses de telle ou telle espèce. 

Quelles sont les difficultés que l’on peut rencontrer ?

Une des principales difficultés que je rencontre est le fait de ne pas pouvoir me consacrer à toutes les espèces que je voudrais (comme beaucoup d’autres photographes animaliers bien-sûr). Car je ne photographie pas que les rapaces nocturnes. Je ne suis d’ailleurs pas davantage attiré par les oiseaux que par les mammifères, comme on me le demande souvent. J’aime la faune sauvage dans son ensemble. J’ai pu suivre, par exemple, au printemps dernier des portées de renardeaux autour de chez moi. Je m’intéresse également au blaireau. J’aime beaucoup photographier les chevreuils. Et de nombreux autres oiseaux que les rapaces nocturnes, à commencer par les rapaces diurnes. Mais pour l’instant je ne dédie pas autant de temps à toutes ces espèces que pour les strigidés, ce qui peut parfois être un peu frustrant. Ça viendra, ou pas, peu importe. 

Une autre difficulté est de pouvoir trouver du temps pour trier et traiter mes images. C’est la partie du « travail » que j’aime le moins. Je préfère de loin être sur le terrain, avoir les yeux dans les jumelles et m’exprimer avec mon appareil photo. Donc j’ai tendance à repousser cette étape. J’aime quand même bien-sûr me poser sur mes images, quand il y a une tempête dehors…

Que penses-tu de l’éthique en photographie animalière et quelle est ton éthique, ton exigence lors de tes sorties photos ?

Un vaste sujet. L’éthique c’est avant tout du bon sens. Malheureusement il faut sans cesse rabâcher certaines « règles ». Personnellement et comme beaucoup d’autres photographes animaliers, je n’arrive pas à concevoir que l’on puisse être fier d’une image ayant occasionné un dérangement trop important (le dérangement zéro n’existe pas).

Mais le concept d’éthique dépasse pour moi les simples conditions d’observation et de prise de vue de la faune sauvage. Il renvoie directement à l’approche que chacun a en sortant faire des images dans la nature. Et les dérives que l’on peut constater actuellement sont je pense surtout liées au fait que l’observation et la photographie animalières sont devenues trop souvent un authentique et égoïste mode de consommation. Au détriment de l’animal photographié qui n’est plus qu’un intermédiaire. De plus en plus de personnes « ciblent » des espèces (le plus souvent vues sur les réseaux), qu’elles soient à coté de chez elles ou à l’autre bout du monde (le plus souvent dans des lieux connus sur les réseaux également, toujours les mêmes…), qu’elles aient été déjà rencontrées ou pas. Il y a d’ailleurs tout un vocabulaire qui est apparu et qui renvoie directement à une consommation (on « coche » des espèces, ce week-end on va « faire du cerf », ou alors la fameuse question « tu l’as fait ? » pour demander à quelqu’un qui a vu un animal s’il a bien réussi à le photographier…). Ce ne sont que des mots certes, utilisés inconsciemment, mais qui reflètent pour moi une vision bien particulière, et qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le jargon cynégétique. Derrière tout cela, derrière les réseaux, derrière cette course aux espèces et aux images, derrière tous ces déplacements à outrance de nombreux photographes, il y a du dérangement et du préjudice envers la nature et la faune sauvage. Et tout cela n’est pour moi pas compatible avec l’idée qu’on se fait de l’éthique…

De mon côté, loin d’être parfait, je fais de mon mieux pour photographier une faune sauvage et libre, dans son milieu, sans intervenir sur ce dernier, en limitant le dérangement au maximum et surtout en apprenant de mes erreurs. Ça me suffit pour être fier de mes images.

Peux-tu nous raconter ta plus belle rencontre animalière ?

Celle avec les jeunes hiboux moyen-ducs. Ça a été le commencement d’une aventure.

C’est la première fois que j’observais des hiboux. Ça s’est fait de manière complètement insoupçonnée, dans une période de ma vie importante.

Pour toutes ces raisons, cette rencontre m’a marqué. 

Quelles sont les espèces que tu rêverais de photographier et pourquoi ? / Quel est ton plus grand rêve en tant que photographe ?

Je n’ai pas forcément de rêves photographiques. Comme évoqué plus haut, je privilégie les rencontres qui se dressent sur mon chemin. Je photographie les animaux que j’ai l’occasion de voir. Évidemment j’ai des envies, et dans l’idée de poursuivre mes observations de rapaces nocturnes en France, j’aimerais beaucoup me consacrer un jour à ceux que je n’ai pas encore eu la chance de croiser, notamment le hibou grand-duc. 

Je suis fasciné par les oiseaux au plumage cryptique en général (dont font d’ailleurs partie les rapaces nocturnes, il n’y a pas de fumée sans feu), comme le butor étoilé que j’ai eu la chance de photographier récemment, la bécasse des bois ou encore l’engoulevent d’Europe sur lesquels j’aimerais beaucoup faire un travail photographique…

Mais je pars du principe que tout ne doit pas être vu obligatoirement. Certaines espèces resteront toujours dans le domaine du rêve, c’est comme ça et tant mieux.

Quels sont les photographes qui t’inspirent et pourquoi ?

C’est très difficile de répondre à cette question. Il y a bien-sûr beaucoup de photographes dont les images me font rêver, des moins connus aux plus connus. Mais finalement, je crois que ceux qui m’inspirent sont surtout ceux avec qui j’échange et qui ont la même démarche que moi.  

Que penses-tu des retouches/post-traitement en photo ?

Ça fait partie intégrante de la démarche artistique photographique. Et je ne pense pas qu’il n’y ait de limites (j’exclus ici les montages). Chacun s’exprime comme il veut, que ce soit à la prise de vue ou lors du post-traitement. Mais personnellement je ne prends pas de plaisir lors de cette partie-là du « travail » et je me lasse très vite devant l’écran. J’essaye donc d’être très exigeant dès la prise de vue en me rapprochant le plus possible d’un résultat qui me plait. La satisfaction face à son image n’en est d’ailleurs que plus grande. Ça passe bien-sûr par une parfaite connaissance de son territoire, une anticipation de la scène qui va se dérouler, et tout un travail de repérage en amont, très haletant à mes yeux. 

As-tu d’autres domaines qui t’intéressent en photos et/ou d’autres passions ?

En photo, pas pour l’instant. Mais je pense que ça viendra, notamment la photographie sportive.  

Sinon, je suis aussi un passionné et joueur de tennis.

Quels conseils donnerais-tu aux photographes animaliers ? 

Modestement, car je n’ai pas énormément d’expérience, je ne peux que conseiller aux photographes animaliers débutants, de tout simplement prendre leur temps, de s’arrêter sur un territoire donné, sur certaines espèces, de dégager leurs propres sensibilités, de ne pas prendre la nature comme un supermarché dans lequel s’enchaineraient des observations sans saveur et aussitôt partagées aux autres. Après chacun fait comme il veut bien entendu, il n’y a pas qu’une seule manière de faire ou une seule vision de la photographie animalière. Mais une chose est sûre, c’est une passion qui demande du temps si l’on veut la pratiquer respectueusement. 

Et surtout, le plus important, qui plus est souvent oublié dans notre ère polluée par les réseaux sociaux, de faire de la photographie pour soi-même, avant de chercher l’approbation des autres.

Quels sont tes projets, ton actualité, tes prochains challenges photos ?

Simplement continuer d’observer la faune qui m’entoure, en me concentrant sur les strigidés. À vrai dire je me laisse guider le plus souvent, les projets naissent naturellement, au gré des évènements. 

Je prépare plusieurs séries (quand j’ai le courage de me mettre devant l’écran) sur des espèces pour lesquelles j’ai pu accumuler un bon nombre d’images, notamment le hibou moyen-duc, la chevêche d’Athêna, l’Elanion blanc… Sur le terrain, je me consacre en ce moment à l’énigmatique chouette effraie et à la chouette hulotte. 

Dans quelques mois je serai probablement de retour en Auvergne pour terminer mes études. Ce sera l’occasion de m’intéresser aux petites chouettes de montagne et pourquoi pas au hibou grand-duc. Je verrai où le vent me mène. 

Enfin, j’aimerais faire découvrir mon travail à travers quelques expositions en 2023.

Un petit mot pour la fin de l’interview ?

Juste un grand merci à toi pour m’avoir accordé cette interview, en te souhaitant une grande réussite dans tes projets. 

Duel entre un hibou des marais et un faucon crécerelle, immortalisé depuis un affût, au sein des marais bordant l’estuaire de la Gironde

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(12 commentaires)

  1. Ahhh mais nooon !! l’interview de Valentin !!! Merci Léa !
    Valentin, tu le sais …. tes photos me font rêver ! Les oiseaux de nuit sont mystérieux et passionnants. Il se dégage de tes photos tout ce mystère. Ta passion se traduit merveilleusement bien à travers chacun de tes clichés. Et je suis trop contente de t’avoir acheté des photos des boubous.
    Il est des personnes comme toi que l’on a plaisir à suivre sur les réseaux et notamment sur Instagram. Et j’attends toujours tes photos avec impatience !
    Merci à toi Léa pour ces partages entre photographes animaliers !

  2. Un grand bravo à toi Valentin ! Ton travail est incroyable. Tes photos sont magnifiques et on ressent à travers elles et tes textes tout ton amour et respect envers la Nature. Merci à toi de partager tout cela avec nous, bonne continuation dans tes projets.

  3. Merci Léa pour cette très belle interview de Valentin. J’aime beaucoup cette approche de la photo: humble, respectueuse, patiente, intuitive, authentique, très personnelle… bref, un « travail » qui a du « sens » !

  4. Bravo pour ce superbe interview Léa, Valentin est un photographe émérite, passionné, qui nous régale à chaque post. Ces photos sont touchantes, elles nous invitent à prendre le temps d’apprécier la beauté de ces rapaces nocturnes.
    C’est un réel plaisir de le suivre.
    Je lui souhaite pleins de beaux projets…

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